Handicap mental et libre arbitre.

dimanche 14 septembre 2014
par  A.GRANGEON
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Le libre arbitre est probablement la caractéristique humaine...

Le libre arbitre est probablement la caractéristique humaine qui a été, qui est et qui sera la plus discutée car elle offre des interprétations multiples. Il peut se définir comme la réalisation d’un acte sans fondement. La volonté peut alors s’exprimer sans origine connue (notion de volonté libre selon l’expression anglo-saxonne : free will ).

Gide, dans Prométhée mal enchaîné, dit que « c’est là ce qui distingue l’homme des autres animaux : une action gratuite, un acte qui n’est motivé par rien, intérêts, passions, rien, l’acte désintéressé né de soi, l’acte aussi sans but donc sans maître, l’acte libre ». Est libre celui qui agit sans raison. L’homme aurait le pouvoir d’accomplir n’importe quelle action, gratuite et/ou absurde. C’est l’exemple du jeune Lafcadio qui se rend à Rome et voyage dans le même compartiment qu’un vieillard inconnu de lui, nommé « Fleurissoire ». Le vieillard étant debout devant la portière,
l’idée surgit dans l’esprit de Lafcadio de pousser son compagnon de voyage. Il décide que s’il peut compter jusqu’à 12 avant de rencontrer un feu, Fleurissoire est sauvé. A 10, il perçoit un feu et accomplit son forfait. C’est donc un acte accompli sans fondement par suite d’une décision arbitraire, issue du hasard ou d’un pur caprice. Mais on ignore s’il n’existe pas une motivation à cet acte dans le passé de Lafcadio par exemple sous la forme d’un personnage qui l’aurait marqué négativement et dont le souvenir ne serait plus au niveau conscient, ce qui ferait apparaître un fondement à l’acte. De même, nous ne savons pas si Lafcadio avait la grippe à cet instant ou une forte migraine ou une addiction à une drogue ou s’il était schizophrénique ou toute autre contrainte interne. Dans ce cas, le fondement de l’acte pourrait être la nécessité d’un soulagement par l’action.

Comment ne pas imaginer que la somme totale de toutes les expériences, désirs, savoirs, d’une personne, la constitution qu’il a héritée (par ses gènes, mais aussi par son éducation : la somme de l’inné et de l’acquis), les circonstances sociales et la nature du choix auquel elle est confrontée, ajoutés à d’autres facteurs que nous ne
connaissons peut-être pas, se conjuguent pour rendre réalisable, dans ces circonstances, une action particulière. Nous possédons des milliards de neurones. Environ 100 milliards. Dont 10% sont connectés à la naissance. (Catherine Vidal : Le cerveau évolue-t-il au cours de la vie ? Le Pommier 2009 ).Tout ou partie des 90% restant seront donc interconnectés par la suite sous l’effet de l’apprentissage. Dans ces conditions, comment peut-on être certain qu’aucun neurone n’a anticipé l’action qui va se produire ?

Les animaux aussi agissent à partir de leurs neurones. Dans leur cas, l’action est dictée pour chaque animal, par son programme propre qui est conçu à partir de ses gènes et de son éducation et qui est censé répondre à tous les besoins de la vie de cet animal (programme qui peut intégrer le dressage ou l’élevage). Si un nouveau besoin apparaît, l’animal peut disparaître car incapable d’adapter ses actions. Par définition, l’animal est programmé. L’être humain est aussi un animal qui a son propre programme. Et la réponse peut être identique à celle d’un animal. Toutefois, l’homme est un animal qui s’adapte ce qui permet sa survie. Mais l’adaptation n’est qu’une nouvelle combinaison d’éléments connus. Ce qui est la conséquence d’un programme plus complexe et si cette complexité peut faire penser à une notion de liberté, l’action reste malgré tout le résultat d’une programmation. Même quand il s’adapte, l’action de l’homme est basée sur du connu. En plus de l’adaptation, l’être humain peut faire ou dire tout ce qu’il veut. Dans ce cas, est-il vraiment libre ? Non, car ces actions sont toujours la conséquence d’un environnement et/ou d’un passé conscient ou inconscient. L’analyse de la vie d’un être humain permet parfois de trouver un
fondement à chacun de ses actes (psychanalyse). Et au plus les sciences sociales s’approfondiront, au plus cette analyse s’améliorera.

La justice fait appel à ces sciences sociales pour montrer la présence de circonstances atténuantes dans le cas d’actions négatives. Et si ces circonstances sont qualifiées d’atténuantes c’est en raison de la probable origine de ces actions négatives dans des évènements indépendants de l’auteur de ces actions. Il est donc vraisemblable que des circonstances préexistantes à l’action déterminent cette dernière, ce que confirme l’outil mathématique qui, appliqué aux sciences sociales est capable de définir la probabilité de réalisation d’une action. Et ce à partir de la
connaissance des paramètres internes et externes à l’individu (ou au groupe social). Et au plus cette connaissance est approfondie, au plus le résultat est précis. Aucun acte ne peut-être sans fondement, sans origine, ce qui signifierait selon cette définition que le libre arbitre n’existe pas.

Mais quelle que soit l’origine de l’action et avant ou pendant sa mise en oeuvre, l’être humain peut décider s’il en est responsable. La responsabilité signifie littéralement le fait de supporter le poids, la charge des ses actes, la pleine mesure des conséquences de ses actes, la prise en compte des implications de ses actes. Ce qui différencie complètement du monde animal qui n’est jamais responsable de ses actions et qui accomplit automatiquement l’action dès qu’elle est décidée. Et pour bien être certain de la responsabilité de ses actes, l’être humain a inventé la justice afin que les conséquences négatives d’une action soient compensées par une punition préalablement définie. La mesure des conséquences d’une action, le contrôle de son déroulement et le choix d’assumer ces conséquences font apparaître une nouvelle dimension qui est en dehors du modèle animal. « Je suis responsable de ce que je fais si j’ai voulu le faire, si j’ai agi dans la conscience que j’allais produire ces conséquences. » Monique Canto-Sperber Directrice de l’Ecole Normale Supérieure Université des CCI 2 et 3 septembre 2010 Mais, le passé (poids familial par
exemple, sens du sacrifice....) et/ou l’environnement (suivre la mode....) sont des éléments du choix d’assumer. Ce qui rend ce dernier pas tout à fait libre. Si l’action n’est pas libre, si le choix d’assumer l’action n’est également pas libre, où donc est passé le libre arbitre, l’acte sans fondement ?

Il existe quand même une manière d’agir qui consiste à poursuivre l’action, malgré des contraintes de plus en plus importantes, malgré l’apparente impossibilité d’arriver à un but. Par exemple, on peut croire en un projet en dépit d’échecs répétés (Marie Curie et la découverte du radium). Ou l’acharnement des alchimistes à refaire la même expérience jusqu’à la perfection pour atteindre la pierre philosophale. On peut croire en l’amour malgré des preuves de solitude ou d’abandon (de très très nombreux exemples mais, Le Montespan de Jean Teulé n’est pas mal : toute une vie à attendre sa femme, est-ce bien raisonnable). On peut croire en l’être humain malgré ses défauts. On peut croire en Dieu (qui n’est pas raisonnable) en dépit des religions (qui sont trop raisonnables). Bref une manière d’agir totalement irrationnelle tout simplement parce que l’on croit en un résultat, et parfois tellement irrationnelle qu’elle
peut être assimilée à de la folie. Et si la manière d’agir est irrationnelle, alors l’acte n’a pas de fondement : il est libre.

La seule liberté que nous avons est dans le fait de croire. Croire en n’importe quoi, mais croire. Mais croire au-delà de tout, selon une foi. Seule la foi est libre car elle ne relève pas d’un pré-acquis, elle est au delà de l’explicable, du raisonnable. Le domaine de la foi (en général) est donc le seul espace ou l’être humain peut choisir d’agir en toute indépendance. Ce qui correspond plus à une « volonté libre » (will free) qu’à un libre arbitre.

Selon cette définition, l’handicapé mental connait-il le libre arbitre (ou la volonté libre) ?

Pour l’UNAPEI l’expression « handicap mental » qualifie à la fois une déficience intellectuelle (approche scientifique) et les conséquences qu’elle entraîne au quotidien (approche sociale et sociétale). Le handicap mental se traduit par des difficultés plus ou moins importantes de réflexion, de conceptualisation, de communication, de décision, etc. Ces difficultés doivent être compensées par un accompagnement humain, permanent et évolutif, adapté à l’état et à la
situation de la personne. C’est à la solidarité collective qu’il appartient de reconnaître et de garantir cette compensation.

Pour Cofemer (Collège Français des Enseignants universitaires de Médecine Physique et de réadaptation) le handicap mental est la conséquence de limitations des facultés cognitives et en particulier de l’efficience intellectuelle. Il se définit par l’existence d’un quotient intellectuel (QI) inférieur à 70 et de troubles de l’adaptation sociale. Il se manifeste à tous les âges mais dans bien des cas dès l’enfance. Les causes en sont multiples ; on retiendra en particulier le rôle des affections génétiques, congénitales, périnatales, des traumatismes, infections,
intoxications, accidents circulatoires, et des maladies psychiatriques....

Selon l’OMS, dans sa Classification internationale des maladies (CIM-10), le retard intellectuel est défini comme un « arrêt du développement mental ou un développement mental incomplet, caractérisé par une insuffisance des facultés et du niveau global d’intelligence, notamment au niveau des fonctions cognitives, du langage, de la motricité et des performances sociales ».

Dans tous ces définitions du handicap mental, il y a absence de capacités cognitives, ce qui n’est pas un handicap pour l’application du libre arbitre (ou la volonté libre) si ce dernier est au-delà du raisonnable. Mais pour nous parents, ces définitions sont probablement erronées car toutes basées sur des tests obtenues à partir de moyens de communication conventionnels (parole, écriture...). Or, ces moyens de communication conventionnels sont peu ou pas existants chez nos enfants handicapés mentaux. Pour compenser, nos enfants ont développés leurs propres moyens de communications (réception et émission) qui ne sont pas encore reconnus car insuffisamment analysés. Et nous sommes les seuls à affirmer l’existence de ces moyens non conventionnels car plus basés sur des relations
affectives que sur des relations objectives. Mais dès que la science aura la volonté de chercher à comprendre ces moyens de communications et de les utiliser, il est probable que les mesures de QI seront modifiées et même que ce test sera abandonné car non représentatif.

En utilisant leurs moyens de communication non conventionnels, nous parents, nous pouvons affirmer que nos enfants développent une volonté d’être aimés. Et cette volonté, en raison de son intensité, se situe plus au niveau de la foi qu’au niveau des besoins. Nos enfants ont la foi en l’amour que leurs parents et même la société doivent leurs donner. Et cette foi ne peut être assimilée à la nécessité de cet amour afin d’obtenir ainsi une aide gratuite. Mais plutôt en la croyance que l’amour est une caractéristique humaine naturelle que masquent nos activités rationnelles.
A ce titre, ils doivent être un exemple pour les personnes dites valides. Et s’ils ont la foi, alors ils connaissent comme nous le libre arbitre (ou la libre volonté).

Mais, force est de constater que l’être humain est avant tout une usine biologique d’une grande complexité et d’une grande efficacité. Et que cette usine biologique est conditionnée par la réalisation d’un grand nombre de réactions chimiques. Nous sommes avant tout le résultat de réactions chimiques. Ainsi, l’influx nerveux qui est un courant de type électronique est transformé par la membrane synaptique en un courant de type ionique (comme une batterie, mais à l’envers) avant de rentrer dans le neurone car ce dernier ne fonctionne que par échanges d’ions (et pas d’électrons). Ainsi, le muscle voit sa longueur varier car il est capable de transformer l’énergie chimique en énergie mécanique en raison de la variation de la concentration d’un élément chimique simple : le calcium. Il serait possible de développer de nombreux autres exemples de ces réactions chimiques complexes qui nous permettent de vivre et surtout de réaliser nos actions. Car, il faut être modeste, nous pensons et nous agissons grâce à des réactions chimiques. Et même le fameux E = mc² est le résultat d’une réaction chimique. La vie n’est que de la chimie.

Mais il existe un début à tout. Même à une série de réactions chimiques. Et ce début est-il lui aussi de nature chimique ? Car si on persiste dans la recherche du début, juste avant la toute première réaction chimique, qu’y-a-t-il ? Des composants chimiques prêts à réagir ? Et si oui, qui les met en contact, qui initie la réaction ? On peut concevoir que pour un comportement de type animal, ce début est probablement identique à un pas de programme, donc à une réaction chimique. Mais dans un comportement qui n’est plus de type animal, dans lequel la liberté apparaît car l’acte est décidé à partir d’une volonté non rationnelle, quelle est la nature du début ? Peut-on imaginer que la spécificité humaine est de lancer une série de réactions chimiques sans l’aide d’une réaction chimique ? Si oui, cette spécificité humaine pourrait-elle être à l’origine du libre arbitre (ou de la libre volonté) ? Alors, si tel est le cas, il n’y a aucune raison à refuser la pratique du libre arbitre (ou de la libre volonté) à nos enfants handicapés mentaux.

Ou bien faut-il remonter au Big Bang ? Comme s’il était apparu une réaction chimique initiale (le Big Bang) et que depuis, les réactions chimiques s’enchainent naturellement (ou aléatoirement) dans les milieux minéraux, végétaux et animaux (et humains ?). Alors, si tel est le cas, le libre arbitre n’existe pas.

Ou peut-être faut-il abandonner l’idée d’un libre arbitre (ou d’une volonté libre) pour ne garder qu’un arbitre (ou une volonté). Car les actes que nous accomplissons chaque jour sont la conséquence de notre choix (ou de notre volonté). Même s’ils ont un fondement.


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